La vie est belle quand on a des mirabelles !
II
Nous terminâmes la traversée de la forêt par les sentiers, et à la sortie, nous vîmes quelques maisons éparses qui formaient un hameau qu’on appelle « Le Bouillon ». En pissant, nous vîmes un serpent dormir dans le fossé, et à 16h18 pétantes, la cathédrale de Sées se présentait au loin. La cathédrale puis rien : voilà ce que nous pouvions voir de notre hauteur. Les alentours n’étaient qu’étendues plates. Nous avions l’impression d’avoir changé de pays. De l’autre côté de la « montagne » d’ Ecouves derrière nous, notre pays, Alençon. Maintenant, la plaine de Sées. Notre périple avait bel et bien commencé. En vagabonds novices, nous entreprîmes la traversée de cette nouvelle contrée. Bien entendu, nous connaissions cette partie du monde. Nous avions parcourus ses routes nationales, vu ses panneaux kilométriques, ses ronds-points, les centres-villes des communes qui la composent. Nous l’avions déjà traversée en voiture, c’est-à-dire que nous n’avions rien vu…
Quelques kilomètres plus tard, pour nous accompagner sur notre parcours des petites routes, des hirondelles jouent aux survol des blés. La faim commence à nous titiller. Nous avons encore quelques provisions, mais demain sera dimanche : il faut anticiper. Nous rallongeons donc notre chemin et mettons le cap un peu plus à l’est, pour rejoindre la ville de Sées. Là-bas nous trouverons à manger. Sées, ville magnifique, je ne sais comment parler de toi. Reine d’un territoire vide, tu ne pouvais pas être toi-même très remplie. Mais tu nous aura fourni une boutique qui contenait tout ce que nous cherchions. Les sacs remplis, nous repartons vers la campagne, bien sûr par une longue route droite et monotone comme il en existe aux entrées et sorties de toutes les villes.
Fatigués et les pieds endoloris par cette première journée, nous souhaitons trouver un bivouac au plus vite. Passons une gendarmerie : bon, maintenant, va falloir aller un peu plus loin. Si on se met trop près d’eux, ils vont nous emmerder. Ces forces de l’ordre pourrait foutre le désordre total dans nos rêves. Et quel malheur de voir que cette longue route droite ne s’arrête pas, et de plus se transforme en une route plus grande encore : le cauchemar du voyageur pédestre. Qu’ils soient pressés ces automobilistes, on s’en fout ! Mais étaient-ils obligés de prendre autant de place ?
Arrivés à un grand rond-point qui permet aux voyageurs « cul-sur-mousse », soit de continuer cette route, soit de se diriger vers une autoroute, nulle route plus petite. Nul chemin tranquille. En revanche, un champ de pommiers. C’est décidé, nous nous arrêterons là ce soir. Nous entrons dans le champ, nous calons entre deux rangées de pommiers, vérifions que la route ne peut nous voir. Nous ne sommes qu’en juillet, personne ne viendra travailler dans ce champ demain, nous sommes tranquilles.
Nous enlevons alors nos chaussures pour offrir à l’atmosphère l’odeur de nos pieds exténués, et posons nos sacs. Juste avant de monter la tente, je parcours le champ en frottant bien mes pieds dans l’herbe. Je voyais là une sorte de nettoyage. Il est vrai qu’un citadin empêchant son enfant de marcher pied nu verra mal où est le nettoyage, mais après une trentaine de kilomètres dans les chaussures, cette notion se ressent beaucoup plus facilement. Œuvrant donc à la purification de ma voûte plantaire et de mes interstices de doigts de pied, je me retrouve soudain nez à nez avec un chevreuil. Lui est comme moi : surpris dans ses occupations, il se demande qui est l’individu devant lui. Quelques mètres nous séparent, et nous ne faisons rien d’autre que nous regarder. Au bout de quelques secondes, j’ai une idée : prendre une photo. Lui a une autre idée : tracer ! Il s’en va vers d’autres allées du champ, et je me mets au ras du sol pour voir entre les troncs où sont ses pattes. Il est à cinq ou six allées de moi, alors je tente de le rejoindre : il me faut un cliché. Mais c’en est fini : l’animal est sur ses gardes et au jeu du cache-cache, il est bien plus fort que moi. Au revoir chevreuil, j’ai été enchanté de te croiser.
Juste après, j’ai une tente à monter et des pâtes à manger. Ce soir je suis l’homme, alors je construis la maison. Ma Pépite, elle s’affaire à chauffer l’eau pour les pâtes. Il en sera souvent ainsi pendant ce voyage : elle la cuisinière, étoilée je précise, et moi le maçon.
C’est ravis d’avoir vécu cette première journée que nous la terminons. Calmés par une fatigue extrêmement saine, nous occupons la fin de journée à parler en nous endormant. Cette nuit nous allons vivre une nuit à l’air frais, les sens connectés à la réalité au maximum, et un peu plus près d’Amsterdam qu’hier…
Le lendemain, nous nous réveillons en même temps que les premiers rayons de lumière. Nous prenons ensuite le temps de s’inventer une grasse mat ‘ en nous tournant et nous retournant dans les duvets. Prendre le petit-déjeuner, apprécier le café et se remettre en chaussures nous occupera jusqu’à 8h30. Alors que j’étais en train de replier la maison nomade, Pépite explorait les alentours et trouva dans une haie, des mirabelles. Des quantités mirobolantes de mirabelles ! Des jaunes et des rouges. Quel plaisir de faire un tel festin avant de reprendre la route ! Devant la quantité ramassée, nous consacrons un compartiment de mon sac au stockage de ces merveilles sucrées. Nous en aurons ainsi pendant deux jours.
Quand nous voyons que nous ne réussirons pas à manger toute la haie, nous reprenons la route. Beaucoup plus lentement, car nous avons tous les deux mal aux pieds et des courbatures commencent à apparaître. Nous réussissons à trouver un chemin, et quel chemin ! C’est à tout un réseau de chemins que nous accédons. Serpentant entre les champs de blé, de maïs, et d’une céréale que nous ne connaissons pas, ces chemins ne sont
accompagnés d’aucune indication. Lorsque le choix entre deux ou trois chemins s’impose à nous, nous nous décidons grâce au soleil. Soleil qui est en forme aujourd’hui ! La chaleur nous fait vider très rapidement ce qui nous restait d’eau, et tout le reste du temps, nous espérons tomber sur un cimetière pour recharger nos
bouteilles. Seulement voilà, ces chemins ne mènent à aucun bourg, aucun village. Nous sommes dans un désert de champs. Nul cimetière ici, les gens ne meurent probablement pas. Il faudra attendre d’être au Haras-du-Pin pour que je puisse enfin remettre de l’eau dans les bouteilles. Au Pin-au-Haras, qui est la ville du Haras-du-Pin, des voitures d’une bourgeoisie très aisée ou endettée se sont rassemblées pour assister à des épreuves
équestres. Non intéressés par la chose, nous mettons le cap vers Exmes. Le paysage s’est à nouveau transformé en collines, les plaines sont passées depuis quelques kilomètres déjà, et pour aller à Exmes, la route monte bien !
Juste avant de commencer l’ascension de ce qui sert de perchoir à Exmes, nous franchissons le pont d’une rivière fantôme. Son lit est là, mais l’eau a pris la fuite. Réchauffement climatique ou simple phénomène saisonnier ? Nous ne saurons pas, mais il nous fallut un peu de sueur pour arriver jusqu’en haut. Une fois passé ce petit village pas déplaisant, la route redescend. Nous passons à côté d’une fourmilière d’un mètre de haut, et espérons atteindre une rivière pour faire un brin de toilettes lors de notre bivouac de ce soir. En fin de journée, lessivés par l’effort, nous avons trouvé une rivière. Encrassée par les bouses de vache provenant des champs alentours, cette rivière nous met les nerfs plus à vif que si nous n’avions rien trouvé.
Pépite voit un champ et veut y camper. Elle a mal aux pieds et ne veut pas aller plus loin. Mais le champ est fermé par une barrière et ça me gêne. « Attendons d’avoir trouvé un champ ouvert, ça fait moins provoc’ ! » Ma phrase n’est pas terminée que je vois Pépite franchir tranquillement la barrière, et son allure à cet instant semble me dire : RIEN A FOUTRE !
Nous camperons donc ici ce soir, dans ce champ en pente, avec toujours ce soleil qui tape et brunit nos peaux. A 18h30, je me demande quelle heure il est, et les pâtes chauffent. La tente n’est pas encore posée, je laisse le soleil m’assommer, et en discutant, Pépite et moi prenons la décision de nous arrêter un peu demain à Vimoutiers. Pour se reposer un peu les pieds et se laver.
Dans la nuit qui suit cette journée, me réveillant pour pisser dans le champ, j’ai assisté à ce spectacle sonore qu’offrent les oiseaux nocturnes à qui veut l’entendre. Après une petite demi-heure d’écoute, je me recouchai en me disant que notre planète était vraiment magnifique… La parcourir de ses pieds est encore plus merveilleux...